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Une promenade un soir de fête

Victoire de l'équipe de France à la coupe du monde de football, Sète, 15 juillet 2018

Victoire de l'équipe de France à la coupe du monde de football, Sète, 15 juillet 2018

Victoire de l'équipe de France à la coupe du monde de football, Sète, 15 juillet 2018

Victoire de l'équipe de France à la coupe du monde de football, Sète, 15 juillet 2018

Victoire de l'équipe de France à la coupe du monde de football, Sète, 15 juillet 2018

Victoire de l'équipe de France à la coupe du monde de football, Sète, 15 juillet 2018

Victoire de l'équipe de France à la coupe du monde de football, Sète, 15 juillet 2018

Victoire de l'équipe de France à la coupe du monde de football, Sète, 15 juillet 2018

Victoire de l'équipe de France à la coupe du monde de football, Sète, 15 juillet 2018

Victoire de l'équipe de France à la coupe du monde de football, Sète, 15 juillet 2018

Victoire de l'équipe de France à la coupe du monde de football, Sète, 15 juillet 2018

Instantanés au bord du canal Gand-Bruges

Canal Gand-Bruges, mai 2018

Canal Gand-Bruges, mai 2018

Canal Gand-Bruges, mai 2018

Canal Gand-Bruges, mai 2018

Une promenade avec Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud, Illuminations, 1895


Promenade fantastique à la première heure du jour, en compagnie de "l'homme aux semelles de vent". 

Des textes de Rimbaud j'aime ceux qu'illumine la joie de la marche, d'où jaillissent les sensations et les mots. Effréné, fulgurant, démiurge, chaque pas est inventeur d'images et chaque balade est une initiation poétique.

AUBE

J’ai embrassé l’aube d’été.

Gesnes, juin 2018

Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

Gesnes, juin 2018

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. 

Montsûrs, juin 2018

Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.

Gesnes, juin 2018

Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. A la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.

Châlons-du-Maine, juin 2018

En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.

Gesnes, juinn 2018

 Au réveil il était midi."

Une promenade à Ostende

"Irons-nous voir Ostende ?", Mélodies Démolies, Jeronimo, 2008

Il y a quinze jours, je suis allée à Ostende.

Cette ville a longtemps été pour moi une destination rêvée, un mélange du rouge primaire des clichés d'Harry Gruyaert, des tableaux sombres de Léon Spilliaert et du désœuvrement languide de la chanson de Bashung, portée par les flottements de sa guitare électrique.

Plus tard, d'autres légendes ont continué le décor : la pâleur des paysages de James Ensor, le récit des ultimes retrouvailles de Joseph Roth et de Stefan Zweig, en 1936, avant leur anéantissement et celui de toute l'Europe, et puis l'anecdote du rétablissement quasi-miraculeux de Marvin Gaye, le roi de la soul, venu essoufflé en 1981 pour s'y retaper une santé artistique et mentale.

J'ai découvert par hasard la chanson "Irons-nous voir Ostende?". J'ai retrouvé dans cette longue mélodie planante et dans le texte de cette promenade amoureuse improvisée ce qu'est pour moi Ostende : une grande fenêtre ouverte sur le rêve et l'apaisement.

Ostende, mai 2018

Je te le demande 
Irons-nous voir Ostende? 
Qu'il brille ou qu'il vente
Irons -nous voir Ostende? 
Je passerai te prendre
Avaler l'E40 
Alors réponds-moi
Irons-nous voir Ostende? 

Ostende, mai 2018

Ébranler nos barrages
Ignorer nos âges 
Dix mille bières à descendre 
Et puis faire sauter la banque 

Deviner l'Angleterre
Murmurer de vieux airs
Bien plus haut que le vent
Et puis, s'ensabler en riant

Admirer nos balafres 
Rejouer nos gaffes 
Réveiller mon flamand 
Et puis m'endormir à ton flanc

Ostende, mai 2018

Choisir le bon cheval
Tout miser sur que dalle
Dans un afflux de sang
Et puis, claquer tout bruyamment

S'égarer dans les dunes
Faire se marrer la lune
Une rose au monument
Et puis, du pain aux goélands

Retirer nos godasses
Barboter, boire la tasse
T'attraper en courant
Et puis, m'excuser timidement

Ostende, mai 2018

Piloter un brise-lames
Et prier Notre-Dame :
Accordez-nous le temps
De grâce, faites de nous des amants

Amarrer le trois-mâts
Endiguer nos pas
S'abriter sous l'auvent
Et puis, moules-frites et vin blanc

Comme des agents secrets
Harponner le tramway
Je replace ton caban
Et puis, tu m'effleures tendrement

Ostende, mai 2018

À la toute fin de l'ouest
Lâcher notre lest
Suivre un phare tournoyant
Surtout, saluer les bonnes gens

Le soleil a plongé
Et nos mains sont gelées
Dégivrer la Mustang
Et puis, s'en aller jusqu'à Gand

Te promettre une bague 
Refouler les vagues 
Dessaouler en rentrant 
Et puis t'embrasser finalement 

Ostende, mai 2018

Je te le redemande 
Irons-nous voir Ostende? 
Qu'il brille ou qu'il vente 
Irons-nous voir Ostende? 
Je passerai te prendre 
Avaler l'E40 
Alors réponds moi 
Irons-nous voir Ostende? 

Alors réponds moi 
Irons-nous voir Ostende?

Ostende, mai 2018

La chanson peut être écoutée sur Deezer.

Instantanés à la Défense


La Défense, décembre 2017

La Défense, décembre 2017

La Défense, décembre 2017

La Défense, décembre 2017

La Défense, décembre 2017

La Défense, décembre 2017


Instantanés à Montflours

Montflours, janvier 2018

Montflours, janvier 2018

Montflours, janvier 2018

Montflours, janvier 2018

Montflours, janvier 2018

Montflours, janvier 2018

Une promenade à Tigreville / Villerville

Un Singe en hiver - Antoine Blondin, 1959


Promenade à quelques encablures de l'estuaire de la Seine, à Villerville, qui fut en 1962 le décor du film Un Singe en hiver, adaptation du roman éponyme d'Antoine Blondin.

Villerville, octobre 2017

À Tigreville, village imaginaire qui n'a d'exotique que le nom, les heures traînent et s'ennuient, dès septembre passé, dans les brumes salines et les lumières détrempées des bords de Manche.

Villerville, octobre 2017

Voilà dix ans qu'Albert Quentin, le vieux propriétaire de l'hôtel Stella, tient sa promesse de ne plus boire, sous l’œil reconnaissant de sa femme Suzanne et les sarcasmes de ses anciens compagnons de boisson.

Dix ans qu'Albert Quentin n'a pas pris une de ses mémorables cuites qui le transportent jusqu'en Chine et lui font jouer les héros impassibles sur les rives du Yang-tsé-kiang.

Dix ans qu'Albert Quentin s'ennuie en croquant des bonbons.

Un soir d'octobre, l'hôtel Stella accueille Gabriel Fouquet, trentenaire échoué à l'allure adolescente, chien lancé dans le jeu de quilles de cette vie bien vernissée. Fuyant sa conscience et galopant après ses démons - sa fille Marie et sa femme Claire - Fouquet se soûle dru, faisant de l'ivresse le plus sûr transport vers une vie rêvée et flamboyante de matador madrilène.

Très vite, une filiation instinctive se crée entre les deux personnages en mal d'ailleurs... jusqu'au bouquet final des deux derniers chapitres, remède jouissif à la modération et à l'immobilisme des jours.

Villerville, octobre 2017

Ecrit avec l'élégance du lettré où affleure quelquefois, non sans humour, le souvenir d'un vers de Rimbaud ("Elle bêtifiait par timidité, évitant de regarder sur la droite les négresses clouées nues au papier de couleur...") ou de Valéry ("Le rideau se lève, il faut tenter de vivre !") ce roman chante l'ivresse, l'amitié et l'exubérance. Il y a du Rabelais dans la faconde de ces deux hommes, un écho aux propos des bien ivres dans leur acrobatique griserie...

L'Hôtel des bains, décor pour l'hôtel Stella dans le film Un Singe en hiver réalisé par Henri Verneuil, d'après le roman d'Antoine Blondin, en 1962.

Retranché derrière son pupitre, Quentin voyait l’humanité sous la forme d’un troupeau interchangeable, dont les individus ne tiraient leur singularité que des manies les plus futiles. Mais lorsque Fouquet avait débarqué, la chambre 8 s’était mise soudain à vivre d’une existence particulière, comme en marge du reste de l’hôtel ; elle était devenue la chambre de M. Fouquet ; peut-être continuerait-on de la nommer ainsi l’hiver durant, lorsqu’il serait parti, et qu’on n’attendrait plus rien.
" Tu lui as donné la clef du jardin ? reprit Suzanne.
— Oui. Il se débrouillera.
— Est-ce lui qui l’a réclamée ?
— C’est moi qui la lui ai proposée, dit-il après une hésitation. L’autre soir, à ce qu’il paraît, il a été obligé d’escalader la grille. Il risque de se blesser et les embêtements retomberont sur nous.
— Il est si jeune", dit Suzanne.
Quentin acquiesça. Pourtant, il savait que Gabriel Fouquet n’était pas si jeune : trente-cinq ans. Les yeux frisés, les cheveux bouclés, le col ouvert, une harmonie hésitante dans les gestes, allégeaient cette silhouette fragile et un peu inachevée. Son passeport continuait d’indiquer la qualité d’étudiant, mais à la manière d’une pendule arrêtée, et sa fiche de séjour ajoutait que, venant de Paris, il n’allait nulle part. Était-ce la jeunesse que de n’aller nulle part ?
" Ça va faire combien de temps qu’il est ici ?
— Trois semaines aujourd’hui, répondit scrupuleusement Quentin de cette voix grave et neutre qui était la sienne, depuis que la précision s’exprimait seule dans ses propos.
— C’est de la folie !" fit Suzanne.
Bien qu’elle fût née dans le pays, elle ne concevait pas qu’on s’installât à Tigreville en dehors de la saison, même alors cette plage n’offrait-elle qu’un charme difficile, coiffée par ses villas chancelantes, envahie de sables ingrats, soumise à la surveillance d’un bourg âpre et retardataire. À la fin du mois d’août, les derniers touristes remettaient leurs cravates, cortège falot qu’on flattait jusqu’au tournant de la route en le méprisant, et l’on ne voyait plus guère passer que des repas de familles ahuries, parachutées par les guides bleus, des notables des environs tout fumants de leurs chasses et de joyeux commis voyageurs qu’on entendait claquer des dents. Fouquet était arrivé le 1er octobre, l’air découragé. Il ne portait pas de bagages et avait payé d’avance la pension de vingt-quatre heures. On s’attendait chaque jour à le voir disparaître mais il demeurait là, ayant contracté suffisamment d’habitudes pour qu’on finisse en retour par s’habituer à lui. En cette période où les gens ne séjournaient pas, le Stella ne servait plus qu’un repas uniforme pour éviter le gâchis ; les passants le trouvaient excellent, n’ayant en général à le subir qu’une fois. Ce jeune homme impassible s’attablant pour un quatorzième déjeuner de moules à la crème et de sole Papin, Quentin avait suggéré qu’on introduisît des variantes dans l’ordinaire de Fouquet. Ainsi bénéficiait-il désormais des petites côtelettes de l’office. Il était entré dans la famille sans s’en apercevoir."

Villerville, octobre 2017

Si quelque chose devait me manquer, ce ne serait pas le vin mais l’ivresse. Comprends-moi : des ivrognes vous ne connaissez que les malades, ceux qui vomissent et les brutes, ceux qui recherchent l’agression à tout prix ; il y a aussi les princes incognito qu’on devine sans parvenir à les identifier. Ils sont semblables à l’assassin du fameux crime parfait, dont on ne parle que lorsqu’il est raté. Ceux-ci, l’opinion ne les soupçonne même pas ; ils sont capables des plus beaux compliments ou des plus vives injures ; ils sont entourés de ténèbres et d’éclairs ; ce sont des funambules persuadés qu’ils continuent de s’avancer sur le fil alors qu’ils l’ont déjà quitté, provoquant les cris d’admiration ou d’effroi qui peuvent les relancer ou précipiter leur chute ; pour eux, la boisson introduit une dimension supplémentaire dans l’existence, surtout s’il s’agit d’un pauvre bougre d’aubergiste comme moi, une sorte d’embellie, dont tu ne dois pas te sentir exclue d’ailleurs, et qui n’est sans doute qu’une illusion, mais une illusion dirigée… Voilà ce que je pourrais regretter. Tu vas imaginer que je fais l’éloge de l’ivresse parce que Fouquet traverse une mauvaise passe actuellement et que ce garçon me plaît bien, en cela tu auras raison pour une bonne part ; autrement, je ne me permettrais pas d’agiter ce spectre devant toi, que j’ai tant tourmentée autrefois et qui m’as entouré d’une façon si vaillante.
Suzanne soupira :
— Il y avait quand même longtemps qu’il n’était plus question de tout cela entre nous… Je voulais justement te demander quelle attitude il convenait que j’adopte s’il prenait à M. Fouquet la fantaisie de s’« illusionner » durant les jours où tu vas être absent…
— J’en serais très étonné, dit Quentin, encore qu’il soit homme à faire ce dont il a envie ; mais je doute qu’il ait jamais vraiment envie de boire. Ne ris pas… Représente-toi plutôt un promeneur qui aperçoit brusquement un couloir somptueux et s’y engouffre parce que rien ne le retient de l’autre côté de la rue."

Villerville, octobre 2017

Marie-Jo, qui avait dû s’élancer une des premières, revenait en proie à une grande excitation. Elle se buta contre Suzanne :
— Madame, Monsieur, venez voir. M. Fouquet est sur la place !
— Et alors, c’est son droit ?
— Il se livre à de drôles de choses.
— Nom de Dieu !" fit Quentin.
La plupart des hôtes du Stella étaient rassemblés dans le jardin, la serviette à la main, et regardaient vers la place du 25-Juillet où des gens penchaient le buste au balcon ; un attroupement commençait à se former sur le trottoir ; la curiosité tendait les visages, amusée chez certains, anxieuse chez d’autres. Au centre, près du refuge qu’il semblait repousser d’un pied nerveux, Fouquet se dressait, les reins cambrés, la tête portée en arrière, l’œil fixé sur le débouché de la route de Paris ; il avait retiré sa veste qu’il tenait largement déployée sur l’extrémité de son bras droit, l’agitant par de brèves saccades du poignet qui lui faisait frôler le bitume. La main gauche, écartée sur l’estomac, pétrissait un jabot imaginaire.
" Trois automobiles déjà, il a évité, dit un Belge.
— Éviter ! Vous ne comprenez donc pas qu’il les recherche…"
« Bande de salauds ! » fulmina Quentin, fendant les groupes pour s’approcher de la grille. Fouquet, qui accomplissait le tour de la place à petits pas provocants, l’aperçut, lui dédia un sourire et une inclinaison du torse, puis, sortant un mouchoir de sa poche, le lança sur la chaussée dans la direction de l’hôtel. À peine avait-il achevé ce geste qu’une voiture s’engagea sur l’espace vide. D’abord hésitante, elle prit de la vitesse dans le virage et l’on vit le jeune homme s’avancer dans une posture de défi pour lui couper la route et l’inciter à venir sur lui. On crut comprendre qu’il l’appelait avec des mots voluptueux.
" Monsieur Gabriel ! cria Marie-Jo.
— La ferme ! fit Quentin. C’est trop tard…"
Le chauffeur n’avait plus le loisir de ralentir… Immobile, le ventre à toucher le capot, les pieds joints, Fouquet enveloppa d’un mouvement caressant la carrosserie de la voiture qui filait contre lui ; un instant, il donna l’impression qu’il allait abandonner sa veste au flanc hérissé de l’auto, mais déjà celle-ci l’avait dépassé, et, coinçant son vêtement sous son bras, il libéra sa main droite pour saluer à la ronde les spectateurs qui s’exclamaient diversement.
" Olé !" dit-il, en ramassant le mouchoir sur lequel on distinguait la trace d’un pneu.
Quentin n’en revenait pas. « Quel petit con ! » murmura-t-il. Déjà une nouvelle bagnole jaillissait sur la place dans la fanfare de son klaxon.
" Albert !" supplia Suzanne en le retenant par la manche…
Soleil et trompettes sous le crâne de Fouquet. L’animal est somptueux."

Villerville, octobre 2017

Quentin réfléchit un moment, puis obliqua sur la gauche vers le calvaire de Saint-Clare.
" Je vais t’emmener dans un endroit que tu ne connais pas, où nous aurons la paix."
C’était, presque dans la campagne, une bicoque en planches agrippée à la corniche, d’où l’on commandait le développement de la côte étirée sous une maigre lune et l’articulation chaotique des baies et des promontoires. On y accédait par un chemin de douaniers. Quentin traversa un petit enclos, poussa la porte et se tint sur le seuil.
" Albert ! fit une voix de femme, ça n’est pas possible !"
Il s’effaça pour laisser pénétrer Fouquet.
"Bonjour, Annie. Je vous présente un toréador."
Fouquet découvrit un étroit couloir recouvert de cloisons de bambous, auxquelles étaient accrochés des éventails, des sabres de samouraïs et des potiches en porcelaine, surplus disparates d’un billard japonais. Des lanternes de papier filtraient à mi-hauteur une lumière rougeâtre qui n’éclairait que le sommet des crânes, le reste du visage ayant l’air masqué par un foulard de soie transparente. Annie était une femme sans âge, aux formes parfaites, une Indochinoise sans doute, reconnaissable à ses paupières légèrement bridées.
" Je ne garantis pas que tout cela soit authentique, dit Quentin, mais par grand vent, ça peut faire illusion."
Ils prirent place sur des bancs scellés de part et d’autre d’une des petites tables basses qui s’alignaient en enfilade jusqu’au bar.
" Cet endroit, qu’on nomme le Bungalow, est une sorte de bistrot de passes. À de certaines époques de l’année, les notables y amènent leurs poules ou viennent en rencontrer de nouvelles. Surtout l’hiver, quand on s’emmerde bien sur le plateau ; mais le point culminant, c’est Pâques. J’y venais autrefois, tout seul je précise, et j’arrivais à me persuader que de l’autre côté de ces cloisons, il y avait des villes avec des tramways, des coups de sifflets, des drames…"
Fouquet perçut avec netteté qu’il n’était plus exactement en présence de l’homme qu’il connaissait : celui-ci jetait sans contrainte des regards autour de lui, ôtait sa cravate et la fourrait dans sa poche, gonflait la poitrine pour aspirer tout le décor et une odeur entêtante d’alambic et de parfum de luxe.
" Qu’est-ce que je vous sers ? demanda Annie.
— Comme d’habitude", dit Quentin.
La femme fut touchée par cette réponse confiante et égoïste, qui impliquait que le monde n’eût pas dû changer durant tout le temps que Quentin lui avait tourné le dos.
"Je vous ferais remarquer que vos habitudes se sont beaucoup espacées depuis quelque dix ans et que ma discrétion légendaire ne m’autorise pas à avoir trop de mémoire."
Elle continuait à s’exprimer avec raffinement, échappant à l’emprise de Tigreville qui l’ignorait, sauf quelques initiés. Caen la ravitaillait ; elle prenait ses distractions au Havre ou à Cherbourg ; c’était une fille de port comme Quentin ne parvenait plus à les rêver.
" Vous confectionnez toujours cette espèce de saké ?
— Certainement, dit-elle. On vient d’assez loin pour en boire.
— Alors, ce sera deux, fit Quentin en posant doucement son poing sur la table. On dit saké par convention, expliqua-t-il très vite pour fuir le regard de Fouquet, c’est un marc d’alambic particulièrement tortueux. Tout est faux ici, mais qu’est-ce que ça peut foutre après une telle corrida !"

Villerville, octobre 2017

Le voyant se lever, Annie proposa d’offrir la tournée de la patronne. Ils la burent devant le comptoir, la savourant comme un sursis, et, une heure plus tard, ils étaient toujours là, sans inquiétude aucune, pénétrés du bien-être qu’ils ne s’avouaient pas de s’être mis hors-la-loi. Annie avait désormais son verre contre les leurs et les observait sans trahir son ennui.
"Je bois à l’amiral Rigault de Genouilly, sans qui notre hôtesse, née à Saigon d’un couple de Nia-Koués, n’aurait jamais eu une patente de bistrot dans le Calvados, lançait Quentin finement.
— À la santé d’El Gallo, le divin chauve, qui estoqua voici trente ans le célèbre taureau Boadbil pour la Merçad de Barcelone ! répliquait Fouquet.
— À l’honneur de Francis Garnier, père des Marsouins du corps expéditionnaire !
— À Juan Belmonte, prince des derechazos et du volapié !
— À la mémoire de Négrier, lâchement assassiné dans le traquenard de Lang-son !
— À celle de Manolete, tombé la muleta à la main aux arènes de Linares !"
Ils n’étaient pas dupes de ces litanies un peu forcées, mais on ne fraternise pas autrement d’un régiment à l’autre, quand on a le respect de son arme et de son écusson. Le désir de ne pas perdre pied devant le compère les entretenait dans la boisson. À la fin, Annie se crut tenue de les prévenir :
"Sale temps, messieurs : si vous continuez, vous allez vous saouler tous les deux."
Quentin la considéra avec mépris.
"Tu as presque raison, lui dit-il ; quand on est en perme, c’est pour s’amuser. On n’est pas venus ici pour jouer au mah-jong. Fils, on va redescendre en ville."

Villerville, octobre 2017

Avec ce merveilleux instinct des enfants qui savent où il faut frapper, Marie sut se faire plus petite qu’elle n’était, au bon moment :
" Raconte-moi une histoire", demanda-t-elle en se blottissant un peu.
Fouquet ne savait pas d’histoire.
"Inventes-en une. Tu le faisais quand j’étais jeune", insista-t-elle comiquement.
C’est alors qu’il lui raconta celle du singe en hiver.
" Elle est vraie, dit-il, mon ami de tout à l’heure me l’a apprise, il n’y a pas longtemps : aux Indes, ou en Chine, quand arrivent les premiers froids, on trouve un peu partout des petits singes égarés là où ils n’ont rien à faire. Ils sont arrivés là par curiosité, par peur ou par dégoût. Alors, comme les habitants croient que même les singes ont une âme, ils donnent de l’argent pour qu’on les ramène dans leurs forêts natales où ils ont leurs habitudes et leurs amis. Et des trains remplis d’animaux remontent vers la jungle.
— Il en a vu des singes comme cela ?
— Je crois bien qu’il en a vu au moins un.
— Le singe imite l’homme, fit-elle machinalement.
— Qu’est-ce que tu dis là ?
— Ce qu’on dit entre camarades pour se faire enrager."

Villerville, octobre 2017