Fourni par Blogger.

Une promenade avec Valéry Larbaud

Les Poésies de A.O. Barnabooth, 1923


Promenade en compagnie d'A.O. Barnabooth, personnage bien né sous la plume de Valéry Larbaud, à l'aube du 20e siècle. 

Double de l'auteur parfois cynique et insensible, ce jeune homme de bonne famille est un dandy globe-trotter parcourant les mers et les ports sans jamais s'attacher quelque part ni à quiconque. 

Passons un moment avec lui, prenons le temps de nous installer dans son poème, pour l'atmosphère si particulière des stations balnéaires abandonnées à l'automne - Scheveningue, Cabourg ou Balbec... -  qu'il offre à ressentir.

SCHEVENINGUE, MORTE-SAISON


Dans le clair petit bar aux meubles bien cirés,
Nous avons longuement bu des boissons anglaises ;
C'était intime et chaud sous les rideaux tirés.
Dehors le vent de mer faisait trembler les chaises.

Promenade Marcel Proust, Cabourg, Octobre 2017

On eût dit un fumoir de navire ou de train :
J'avais le cœur serré comme quand on voyage ;
J'étais tout attendri, j'étais doux et lointain ;
J'étais comme un enfant plein d'angoisse et très sage.

Plage de Cabourg, octobre 2017

Cependant, tout était si calme autour de nous !
Des gens, près du comptoir, faisaient des confidences.
Oh, comme on est petit, comme on est à genoux,
Certains soirs, vous sentant si près, ô flots immenses !

Plage de Cabourg, octobre 2017

Instantanés hors-saison - 3

Deauville, octobre 2017

Deauville, octobre 2017

Deauville, octobre 2017

Deauville, octobre 2017

Deauville, octobre 2017

Instantanés hors saison - 2

Deauville, octobre 2017

Deauville, octobre 2017

Deauville, octobre 2017

Deauville, octobre 2017

Deauville, octobre 2017

Deauville, octobre 2017

Deauville, octobre 2017

Instantanés hors saison - 1

Plage de Trouville, octobre 2017

Plage de Trouville, octobre 2017

Plage de Trouville, octobre 2017

Plage de Trouville, octobre 2017

Plage de Trouville, octobre 2017

Plage de Trouville, octobre 2017

Plage de Trouville, octobre 2017

Instantanés sur la plage de Deauville

Exposition Peter Lindbergh, plage de Deauville, octobre 2017

Plage de Deauville, octobre 2017

Exposition Peter Lindbergh, plage de Deauville, octobre 2017

Plage de Deauville, octobre 2017

Exposition Peter Lindbergh, plage de Deauville, octobre 2017

Plage de Deauville, octobre 2017

Plage de Deauville, octobre 2017

Une promenade avec Charles Baudelaire

Le Spleen de Paris, Petits Poèmes en prose, 1869


Flânerie auprès du vieux bassin d'Honfleur, non loin duquel Baudelaire écrivit "Le Voyage", sublime conclusion de son recueil Les Fleurs du Mal

Ce port normand aux ciels et reflets changeants, berceau de l'impressionnisme où se côtoyèrent Jongkind, Boudin et Courbet, est pour le poète "le plus cher de tous les rêves".

Voici "Le Port", prose contemplative à découvrir comme un tableau.

XLI. LE PORT

Honfleur, octobre 2017

Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. 

Honfleur, octobre 2017

L'ampleur du ciel, l'architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser.

Honfleur, octobre 2017

Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l'âme le goût du rythme et de la beauté.

Honfleur, octobre 2017

Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n'a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s'enrichir."

Honfleur, octobre 2017

Une promenade en forêt de Mayenne

Les Chemins nous inventent - Philippe Delerm, 1997

Balade automnale avec ce livre à quatre mains et deux regards, écrit et illustré par Philippe et Martine Delerm.

J'aime ce recueil de promenades normandes qui accueille le monde avec le même désir et la même grâce, avec cette égale curiosité pour la beauté, qu'elle soit établie ou non - de la gravité classique des châteaux entraperçus à la marge d'un sentier à l'architecture parfaite d'un champignon au bord d'une allée forestière.

Coulemelles ramassées en forêt de Mayenne, octobre 2017

Il y a dans ce livre, à travers les trente-six flâneries qui le composent, la certitude que l'inattendu peut se cueillir dans l'espace quotidien, tout près de soi, et qu'il faudrait être fou, comme certain pigeon de fable, pour partir en "lointain pays".

La Normandie de l'auteur - villes et hameaux, Seine et cours d'eau, plaines et forêts - est alors ce monde toujours nouveau, né des rendez-vous improvisés avec les saisons, avec l'éveil d'une sensation, avec les formes de la lumière, avec les heures solitaires et insolites, avec la paix des choses. 

L'écriture y est flexible, souple et riche, propice aux accumulations de touches et de nuances - depuis les après-midis "couleurs de bière" jusqu'aux matinées de coton, comme une toile impressionniste, un paysage à réinterpréter toujours.

Saisissons la vie quand elle passe, composons-nous des souvenirs, inventons-nous au gré des chemins.

Forêt de Mayenne, octobre 2017

Septembre nous a rendu cette belle lumière un peu molle qui tient de la pomme, de la poire et du coing, une lumière aux trois fruits d'automne. La sécheresse de l'été nous l'avait annoncé : septembre cette année sera déjà tout autre chose. J'aime bien ces années où la démarcation des jours se fait dès la rentrée des classes ; des pluies, bien sûr, mais aussi de jolies clairières dorées qui leur succèdent. C'est une fin d'après-midi comme ça.

Forêt de Mayenne, octobre 2017

Je suis l'allée étroite, c'est toujours un peu Brocéliande quand le cercle de lumière s'éloigne tout au bout, et donne envie d'aller plus loin, plus profond, vers quelque chose à découvrir et qui dort en soi-même. Les fougères hésitent encore entre le roux et le vert pâle. Le sol est fauve. Les pas s'enfoncent délicieusement. Odeur des feuilles, bien sûr, à la fois presque fade et entêtante. Et puis l'odeur des champignons. Les champignons ! C'est le grand souci du moment. Après un été aussi sec, on s'était fait à l'idée de ne pas en trouver du tout."

Forêt de Mayenne, octobre 2017



Quel bonheur chaque fois, de découvrir un beau champignon neuf, évident et secret ! Cette soif-là ne s'étanche pas. Elle mène les allées et le plaisir d'automne. "Une rose d'automne est plus qu'une autre exquise", écrivait Malherbe. Est-il permis de dire : "Un cèpe de novembre est plus qu'un autre délicieux" ? Peu de cèpes au demeurant [...] mais tant de ces "mauvais" qui font tout le plaisir des yeux..."

Fontaine-Daniel, octobre 2017

Elle aurait bien aimé cette lumière-là. Un ciel presque bleu, mais avec ce léger voile que l'automne pose imperceptiblement sur les regards - au grand soleil de l'après-midi, quelque chose déjà semble pencher vers le soir. La lisière de la saison : les tons d'octobre commençaient à sourdre, un peu de rose-rouge sur les vignes vierges, un peu d'or pâle auréolant de douceur commençante les arbres encore verts. La veille, il avait plu, d'une pluie sauvage et lancinante qui convenait à nos tristesses. Mais ce jour-là, le rendez-vous manqué avait raison de retrouver une harmonie de tons sereines, à peine finissante, un sourire plus grave. Avec un soleil chaud pour sourire au bonheur des autres, avec une brume indécise pour souffrir à part soi, le jour ressemblait à Sylvie.

Fontaine-Daniel, octobre 2017

Sur le banc déserté, quelqu'un nous manque dans l'automne."

Instantanés à Ménil

Marronniers d'Inde à Ménil, septembre 2017

Coulemelles à Ménil, septembre 2017

Marronniers d'Inde à Ménil, septembre 2017

Une promenade avec Dimitri Verhulst

La Merditude des choses, 2006

(Traduction du néerlandais par Danielle Losman)

Détour littéraire vers la Belgique pour un extrait de ce récit inspiré par la jeunesse de son auteur.

Dans un imaginaire village flamand oublié des guides touristiques, Dimitri vit avec ses trois oncles et son père, quatre fieffés soiffards revenus habiter chez leur mère. Au rythme du rock vieillissant de Roy Orbison, des visites d'huissiers et des records soûlographiques des quatre hommes (ainsi le loufoque Tour de France à boire de l'oncle Poutrel !), le jeune garçon tente de grandir en portant sur le monde qui l'entoure un regard lucide jamais dénué de finesse ni de tendresse. 

Il en résulte un roman drôle et juste, doucement amer et rudement humain, où le sordide des situations coudoie le sublime des émotions, où la faiblesse des hommes nourrit la noblesse de l'écriture.

Voici à lire un extrait du chapitre 9 : revenu d'une cure de désintoxication, le père de Dimitri veut offrir à son fils une paire de chaussures de course, pour participer le lendemain à une compétition locale.

- Le guéri -


Course des écluses, septembre 2017

Des chaussures à crampons. C'est vrai, à cette époque je courais volontiers, avec passion, en général de longues distances à travers champs, et de préférence durant les mois d'octobre et de novembre, lorsque la campagne sent si bon et que les noix jonchent l'herbe. Je n'étais pas un grand talent, mais je courais mieux que la moyenne et il m'est arrivé quelquefois de revenir d'une compétition avec une médaille ou même un trophée, par accident disons, lorsque les meilleurs déclaraient forfait.

Course des écluses, septembre 2017

L'athlétisme est le sport par excellence de celui qui ne possède pas grand-chose, pas besoin d'installations. On peut courir partout, gratuitement. La grande championne Zola Budd a montré à cette époque que même pieds nus on peut pulvériser des records et toute une génération d'Éthiopiens et de Kényans sont montés au créneau, prônant la pauvreté plutôt que les chaussures à crampons aux jeunes aspirants coureurs de fond, ce qui ne m'a pas empêché d'être fou de joie de mes nouvelles chaussures. 

Course des écluses, septembre 2017

Les possibilités étaient là, et peu de conditions restaient à remplir, j'aurais pu, aujourd'hui, avoir été un coureur pas trop minable. Mon endurance était bonne, même très bonne si l'on m'accorde ce manque de modestie, et c'est sans rancune que je constate aujourd'hui que je ne pourrais plus avaler cinq kilomètres en moins d'une demi-heure. Du moins, je le suppose, car je ne songe plus depuis longtemps à me commettre en short sur les pistes. La seule idée de quitter la maison en short est déjà trop lourde à porter, alors courir dans ce costume en plus...

Course des écluses, septembre 2017

Ce n'est que plus tard, lorsque j'ai lu le livre le plus célèbre d'Alan Sillitoe, The Loneliness of the Long-Distance Runner, que j'ai compris que c'était dans la logique des choses d'avoir été un enfant coureur de fond. Courir était le sport des internats, des orphelinats, des maisons de correction et des institutions pour jeunes où je devais finir par atterrir. Les écoles étaient fières des exploits sportifs de leurs pensionnaires et liaient volontiers leur nom et leur réputation au vainqueur, comme si leur enseignement et leur discipline ringarde avaient contribué à le fabriquer. Pas étonnant que j'aie déclaré chaque fois forfait lors des championnats interécoles, tout comme le personnage principal du roman j'étais horrifié à l'idée d'offrir à mon établissement la coupe de la victoire.

Course des écluses, septembre 2017   

Courir était en outre l'héritage sportif de mon père."

Une promenade dans les passages parisiens

Le Paysan de Paris - Louis Aragon, 1926

Retour à Paris et aux promenades merveilleuses, à la recherche du "stupéfiant image"...

Le passage du Caire, août 2017
C'est en 1924 qu'Aragon écrit "Le Passage de l'Opéra", qui forme la première partie du Paysan de Paris, publié deux ans plus tard.

Dépeignant un lieu au bord de sa propre ruine - le passage de l'Opéra sera démoli en 1925 - le texte est l'expérience d'un marcheur en quête d'enchantement, d'un Parisien dépaysé, cherchant à se défaire de "l'illusion réalité" pour percevoir l'insolite et la "cohérence inexpliquée" du monde. À la lecture du Paysan de ParisNadja ne me semble jamais bien loin...

Dans ce temple de l'éphémère, de l'équivoque et des plaisirs interlopes ; sous ce grand couvercle de verre qui cèle catins et boutiques vieillies, là où baigne une autre lumière, le mystère semble pouvoir s'incarner, pour peu qu'on cherche à le dénicher. Le narrateur devient alors l'aventureux aventurier, l'"Aladin du Monde Occidental" prêt à se frotter à toutes les expériences pour faire surgir le "merveilleux quotidien".

Cette esthétique de l'émerveillement, délestée des conventions morales et nourrie d'images de toutes natures - métaphores, pancartes des commerces du passage, prosopopées, affiches publicitaires, anaphores, tracts et journaux, accumulations, carte des tarifs du café Certa où se réunit le groupe Dada - nous promet, dans la bouche de l'Imagination qu'elle fait parler, une "infinité de surprises infinies".


Arrêtons-nous un peu pour éprouver ce vertige"...

Le passage du Grand Cerf, août 2017

Toute la faune des imaginations, et leur végétation marine, comme par une chevelure d'ombre se perd et se perpétue dans les zones mal éclairées de l'activité humaine. C'est là qu'apparaissent les grands phares spirituels, voisins par la forme de signes moins purs. La porte du mystère, une défaillance humaine l'ouvre, et nous voilà dans les royaumes de l'ombre. Un faux pas, une syllabe achoppée révèlent la pensée d'un homme. Il y a dans le trouble des lieux de semblables serrures qui ferment mal sur l'infini. Là où se poursuit l'activité la plus équivoque des vivants, l'inanimé prend parfois un reflet de leurs plus secrets mobiles : nos cités sont ainsi peuplées de sphinx méconnus qui n'arrêtent pas le passant rêveur, s'il ne tourne pas vers eux sa distraction méditative, qui ne lui posent pas de questions mortelles. Mais s'il sait les deviner, ce sage, alors, que lui les interroge, ce sont encore ses propres abîmes que grâce à ces monstres sans figure il va de nouveau sonder. La lumière moderne de l'insolite, voilà désormais ce qui va le retenir. Elle règne bizarrement dans ces sortes de galeries couvertes qui sont nombreuses à Paris aux alentours des grands boulevards et que l'on nomme d'une façon troublante des passages, comme si dans ces couloirs dérobés au jour, il n'était permis à personne de s'arrêter plus d'un instant. Lueur glauque, en quelque manière abyssale, qui tient de la clarté soudaine sous une jupe qu'on relève d'une jambe qui se découvre."

Le passage des Panoramas, août 2017

Ô philatélie, philatélie : tu es une bien étrange déesse, une fée un peu folle, et c'est toi qui prends par la main l'enfant qui sort de la forêt enchantée où se sont finalement endormis côte à côte le Petit Poucet, l'Oiseau Bleu, le Chaperon Rouge et le Loup, c'est toi qui illustres alors Jules Verne et qui transportes par-delà les mers avec tes papillons de couleur les cœurs les moins préparés au voyage. Que ceux qui comme moi se sont fait une idée du Soudan devant un petit rectangle bordé de carmin où chemine sur fond bistre un blanc burnous monté sur un méhari, que ceux qui furent familiers de l'empereur du Brésil prisonnier de son cadre ovale, des girafes du Nyassaland, des cygnes australiens, de Christophe Colomb découvrant l'Amérique en violet, à demi-mot me comprennent ! Mais ce ne sont plus ces collections de prix divers que nous avons connues, qui ornent de reflets fatigants tout l'étal de la boutique où nous voici. Édouard VII a déjà l'air d'un monarque ancien. De grandes aventures ont bouleversé nos compagnons d'enfance, les timbres, que mille liens de mystère attachent à l'histoire universelle."

Le passage des Panoramas, août 2017

... je sortis dans le passage alors qu'il était déjà entièrement éteint. Quelle ne fut pas ma surprise, lorsque, attiré par une sorte de bruit machinal et monotone qui semblait s'exhaler de la devanture du marchand de cannes, je m'aperçus que celle-ci baignait dans une lumière verdâtre, en quelque manière sous-marine, dont la source restait invisible. Cela tenait de la phosphorescence des poissons, comme il m'a été donné de la constater quand j'étais encore enfant sur la jetée de Port-Bail, dans le Cotentin, mais cependant je devais m'avouer que bien que des cannes après tout puissent avoir les propriétés éclairantes des habitants de la mer, il ne semblait pas qu'une explication physique pût rendre compte de cette clarté surnaturelle et surtout du bruit qui emplissait sourdement la voûte. Je reconnus ce dernier : c'était une voix de coquillages qui n'a pas cessé de faire l'étonnement des poètes et des étoiles de cinéma. Toute la mer dans le passage de l'Opéra. Les cannes se balançaient doucement comme des varechs. Je ne revenais pas encore de cet enchantement quand je m'aperçus qu'une forme nageuse se glissait entre les divers étages de la devanture. Elle était un peu au-dessous de la taille normale d'une femme, mais ne donnait en rien l'impression d'une naine. Sa petitesse semblait plutôt ressortir de l'éloignement, et cependant l'apparition se mouvait tout juste derrière la vitre. Ses cheveux s'étaient défaits et ses doigts s'accrochaient par moments aux cannes..."

Vitrine de la Galerie Vivienne, août 2017